Au premier coup d’œil, ce vase balustre dont la panse est recouverte d’une grande inscription pourrait être attribué aux ateliers de « Sultanabad» au nord-ouest de l’Iran, tant les références aux céramiques ilkhanides sont nombreuses. Les principaux éléments du décor accusent un léger relief par suite de l’emploi d’un engobe épais - procédé qui caractérise, au début du XIVe siècle, les productions dites de « Sultanabad », ou encore celles de Djoveyn, dans le Khorassan iranien. Le semis de petites feuilles dentées jeté sur l’encolure, de même que les arcatures de la base, ou le fond végétal en engobe gris, de type « fourmillant », sont également des emprunts à la Perse ilkhanide et, au delà, à la Chine des Yuan et des Ming. On notera que ces tonalités de gris et cette décoration mouchetée se remarquent à la même époque dans les vêtements ilkhanides, comme en témoigne ceux qui sont représentés dans les miniatures du Jami-i-Tawarikh (1314), ou des « petits Chanameh ».
Toutefois, l'inscription en arabe, calligraphiée en thuluth, ainsi que les deux frises en feuilles « rumî », sont étrangères à la Perse. Elles permettent d’attribuer l’ouvrage aux ateliers mamelouks d’Egypte ou de Syrie. L'analyse de la pièce en laboratoire confirme l’approche sylistique.
L’inscription est fort curieuse : « Le devin est éphémère, c’est le musc ; une absence de précipitation est pour lui la loi. Tu inclineras un pot dans lequel est répandue une pluie forte et abondante. Si le sort décide, elle est trouble, si le sort décide, elle est limpide. J’ai confié mon sort tout entier à l’aimé. S’il le souhaite, il me laissera vivre, s’il le souhaite, il causera la perte d’un ami… Et, vraiment, tu repousseras (le mal) »[1].
La vertu des substances contenues dans le récipient était souvent indiquée par des inscriptions portées sur la panse ou sur le col. Elles étaient extrêmement métaphoriques quand il s’agissait de guérir l’impuissance sexuelle, d'attirer la chance, ou de susciter la passion. La formulation employée ici entre dans cette dernière catégorie : le musc ayant des propriétés d’excitation bien connues.
Ces pots à inscription magique
ont été très en faveur chez lez Ilkhanides, comme chez les Mamelouks au cours
du XIVe siècle. La secte des Hurûfi, ceux qui sont versés dans « la science des
lettres », se constitue à cette époque. Toutefois, il faut se rappeler que
l'usage magique de l'écriture est en Orient un phénomène ancien. Des cruches en
terre cuite, exhumées à Suse, en Iran, et datant des premiers siècles de
l'islam, présentaient des parois couvertes de formules occultes en écriture
arabe[2]. Ces
pots avaient été intentionnellement brisés, comme si on avait voulu rompre un
sort. On connaît aussi l'importance des coupes médiévales talismaniques dont la
demi-sphère reprend la cosmologie des cieux.
Par ailleurs, ces récipients en céramique glacée étaient un bon moyen de
conserver les produits médicamenteux. En pays d’islam, hôpitaux et pharmacies
en étaient amplement pourvus. Exportés en Occident chrétien, ils furent imités
par les potiers de Malaga, de Valence et de Manisès, plus tard, par ceux de
Florence et remplirent les mêmes fonctions. Quand aux vases venus d'Orient, ils
furent parfois oubliés au fond des officines européennes. Ce qui leur valut
d’être préservés.
[1] Traduction par L. Kalus.
[2] Cf. La « cruche à inscriptions » du Musée du Louvre, MAO. S. 673.
Soustiel J., La céramique islamique, le Guide du
Connaisseur, p. 224-225, n° 254
Toueir K., Céramiques Mameloukes à Damas,
Bulletin d'Etudes Orientales, t. XXVI, 1973
Taylor M. -B. et Kalus L., « Un vase d'apothicaire islamique », La Revue du Louvre et
des Musées de France, n° 2, avril 1980