En naskhî, formules de louanges
De forme évasée, avec une accentuation de l’ouverture au tiers de la hauteur, le gobelet s’inscrit dans un groupe attribué à la première moitié du XIIIe siècle. Il porte dans sa partie supérieure des formules votives en naskhî, tracées en jaune doré cerné de rouge. Ces vœux anonymes et conventionnels se rencontrent souvent à l’époque ayyubide (1171-1250) et n’apportent pas de renseignements sur leur destinataire. En dessous, se déploie un large réseau géométrique parsemé de points blancs et bleus en relief et composé de rectangles, de croix et de cartouches polylobés. Une dernière frise de rinceaux fleuronnés court près de la base.
Appelé aussi « Coupe de Charles le Grand », ce gobelet syrien est probablement arrivé en France à une date précoce comme l’indique sa monture en cuivre argenté exécutée vers le XIVe siècle dans un atelier chrétien. Il faisait autrefois partie du trésor de l’église de la Madeleine à Châteaudun, construite par les Templiers. Comme d’autres verres du même type conservés en Occident, son histoire pourrait être associée à celle des Croisades. Son attribution à Charlemagne témoigne de l’admiration qu’il suscitait. On accordait à ces objets raffinés des propriétés merveilleuses, comme au gobelet appelé Luck of Edenhall, « la Fortune des Edenhall », et qui passait pour avoir appartenu à une fée protégeant la noble famille des Musgrave de Edenhall, dans le Cumberland[1]. Enfermé dans un écrin de cuir, on ne le sortait qu’à de rares occasions et avec beaucoup de solennité.
Les premiers verres émaillés et dorés ont souvent été attribués aux ateliers de Raqqa, en Syrie, sans qu’on puisse le prouver. Apparus au Proche-Orient musulman, au cours du XIIe siècle, ils pourraient imiter des productions byzantines que la Syrie connaissait par contact avec l’Anatolie. Le plus ancien objet datable est une bouteille inscrite au nom du fondateur de la dynastie des Zangides, l’atabeg ‘Imad al-Dîn Zangî (r. 1127-1146), celui-là même qui reprit la ville d’Édesse aux Croisés et qui s’affranchit de l’autorité immédiate des Turcs seljukides. Une autre bouteille très célèbre, celle-ci directement liée au mécénat des Ayyubides, est conservée au Musée d’Art islamique du Caire. Elle porte sur sa panse une inscription au nom du sultan al-Malik al-Nâsir II Salâh al-Dîn, dernier souverain ayyubide de Syrie. Ce sont donc des objets de prestige associés, en terres d’Islam comme en Occident chrétien, à des propriétaires importants. Plus tard, sous les Mamluks, la technique se généralisera aussi bien en Syrie qu’en Égypte et sera appliquée à des plats, des gobelets et des lampes. Elle sera un siècle plus tard imitée par Venise.
L’importation des ces objets en Europe est souvent liée aux Croisades. Toutefois, selon l’historien égyptien Maqrîzî, le nombre des marchands francs atteignait les trois mille à Alexandrie, sous les Ayyubides, en 1215. En Égypte, les traités conclus avec Venise, Gênes et Pise furent régulièrement renouvelés et des traités similaires furent accordés aux Vénitiens à Alep. L’intégration des ces pièces de luxe aux trésors occidentaux n’est pas nécessairement le résultat d’entreprises militaires.
[1] Londres, Victoria and Albert Museum, C.1 à B-1959 < http://collections.vam.ac.uk/objectid/O3311 >.
Migeon, G., Manuel d’art musulman, II, Paris, 1927, p.147
Arts de l’Islam, des origines à 1700, cat. exp., Paris, 1971, Réunion des musées nationaux, n° 282,p. 197
Memorias do Imperio Árabe, cat. exp., Saint-Jacques de Compostelle, 2000, Auditorio de Galicia, n° 92, p. 116
L’Orient de Saladin, cat. exp., Paris, 2001, Institut du monde arabe, Gallimard, n° 203, p. 191.