Des superlatifs peuvent qualifier cette dynastie turque : son territoire est le plus étendu de toutes les dynasties qui ont gouverné en Islam, et son règne le plus long. Elle assure aussi de fait la charge califale après la disparition, en 1517, du dernier calife abbasside réfugié au Caire. Elle implante l’islam en Europe orientale et centrale et met un terme à l’Empire byzantin avec la prise de Constantinople en 1453, qui devient Istanbul, siège de la Sublime Porte. La légende s’attache encore à son fondateur, ‘Uthmân Ier qui, en Bithynie, crée un petit État dans la zone frontière entre le sultanat seljukide de Rûm et Byzance. L’expansion vers l’ouest – Grèce continentale, îles égéennes, Balkans, Hongrie – débute avec la conquête de la rive européenne en 1352 et culmine avec le siège de Vienne en 1683, sans pour autant négliger la domination de l’Asie Mineure. Déstabilisé par l’incursion de Tîmûr (Tamerlan) en 1402, le pouvoir ottoman se rétablit et le commerce se développe avec Venise, Gênes et Raguse. En 1516, les Ottomans prennent aux Mamluks les provinces de Syrie et d’Égypte ; ils s’affirment comme les défenseurs de l’orthodoxie sunnite face aux Safavides de l’Iran chiite. À ce titre ils étendent leur hégémonie sur les villes saintes de La Mecque et Médine et, par-delà, jusqu’au Yémen. Ils conquièrent également l’Irak et Baghdad et contrôlent ou apportent leur soutien aux principautés corsaires – dites aussi États barbaresques – d’Afrique du Nord.
L’autorité du pouvoir est concentrée sur la personne du sultan, un peu à l’image du Roi Soleil en France. Après une première phase offensive qui voit le sultan présent sur les champs de bataille et au cours de laquelle l’Europe chrétienne, fragilisée par ses dissensions, les considèrent tel un fléau, les Ottomans savent moins bien gérer l’exercice du pouvoir dans des conditions plus pacifiques. C’est, avec quelques exceptions, le cas des descendants de Sulaymân II (Soliman le Magnifique, 1520 - 1566) confrontés à une Europe post-renaissante désormais à la pointe du progrès dans les sciences, l’art de la guerre mais aussi l’économie. On n’attend plus du souverain qu’il intervienne directement dans le gouvernement, désormais assuré par les grands vizirs et les dignitaires. Au XIXe siècle, les idéaux de la Révolution française influent sur l’émergence des nationalismes qui, en Grèce et dans les Balkans comme au Proche-Orient, rendent nominative l’autorité ottomane avant que celle-ci ne se dissolve lors de la Première Guerre mondiale.
Les Ottomans se montrent plutôt tolérants face à la diversité des populations et des croyances que recense leur vaste empire qui, en outre, accueille les juifs fuyant les exactions de la chrétienté. Une classe dirigeante composée de non-Turcs d’origine chrétienne renforce la dynamique de la société et contribue à son développement.
L’art pictural ottoman – à travers l’enluminure de manuscrits réalisés au sein de l’atelier rattaché à la cour – donne une image fidèle de la vie des sultans par l’illustration de multiples récits historiographiques : chroniques des règnes, relations des fêtes données à diverses occasions, etc. Particulière également est la peinture topographique qui rend compte des campagnes militaires, notamment les pages dues à Pîrî Re’îs au XVIe siècle. Le style ottoman fait la synthèse des apports des peintres venus des différentes provinces de l’Empire et de Perse, et se caractérise par un réalisme documentaire recourant à des couleurs vives. Le portrait occupe une place importante. Muhammad II (r. 1444 - 1481) fait venir au palais de Topkapi des peintres et médailleurs italiens, comme Gentile Bellini, qui vont asseoir cette tradition en l’adaptant au contexte islamique avec des artistes comme Sinân Bey. Au XVIIIe siècle sous le règne d’Ahmed III (r. 1703 - 1730), l’influence de l’approche naturaliste de la peinture occidentale est perceptible dans la recherche de la perspective et le rendu des ombres, par exemple dans les pages de Lewnî.
Par le biais de la peinture de la Renaissance, on connaît aussi la production ottomane des tapis et des textiles. Les tapis à points noués se partagent en deux types : ceux avec des dessins géométriques et des motifs stylisés de végétaux et d’animaux – abondamment reproduits dans les toiles de Lotto ou Holbein, entre autres, qui leur ont donné leurs noms – et ceux inspirés par l’architecture et l’art du livre composés à partir de médaillons, d’étoiles et de motifs dits « chintamani », produits notamment à Ouchak. La ville de Bursa demeure quant à elle célèbre pour ses soieries et ses velours, eux aussi représentés dans les peintures et les manuscrits qui en permettent la datation à partir du milieu du XVIe siècle. Ces tissus font l’objet d’un intense commerce et de cadeaux diplomatiques, principalement avec l’Italie, et servent à confectionner des habits sacerdotaux, hormis bien sûr les fastueuses robes de cérémonie des sultans et de leur cour.
Les chroniques illustrées rendent compte de l’organisation des artisans en guildes qui défilaient devant le sultan. On y voit les potiers dont la production basée à Iznik constitue un moment fort de la céramique islamique. Pièces de forme et carreaux de revêtement mural (la mosaïque est abandonnée au profit de modules carrés ou rectangulaires) évoluent d’un style monochrome bleu – influencé par la porcelaine chinoise collectionnée avec passion par certains sultans - à un style plus coloré, culminant avec l’emploi du rouge, et floral mêlé d’arabesques. En plus du décor des mosquées, par exemple celle de Rustam Pacha à Istanbul (1551), il faut retenir la restauration de la Coupole du Rocher à Jérusalem entreprise par la volonté de Soliman le Magnifique en 1564.
Le raffinement de la cour ottomane et son mécénat font atteindre l’excellence dans le travail du cuir et des métaux ; ainsi en va-t-il des armes et armures admirées par leurs adversaires en Europe. Or et argent rehaussés de pierres précieuses sont associés dans l’élaboration de vases et de coupes, ou servent à incruster des pièces en pierres dures.
Bien que l’empire occupât la Syrie et l’Égypte qui avaient eu une industrie du verre prospère – mais dont les artisans avaient été déportés à Samarkand par Tamerlan – il faut attendre le XIXe siècle pour voir les productions ottomanes, sorties entre autres de la manufacture de Beykoz, se diffuser dans l’ensemble du Proche-Orient ; entretemps les verres de Venise puis de Bohême ont connu une grande vogue.
En architecture, la prise de Constantinople confronte les Ottomans avec l’église Sainte-Sophie qui sera le modèle à surpasser. Se développe la mosquée à grande salle de prière sous coupole portée par des piliers d’angle et précédée d’une cour bordée d’un portique (il n’y a pas d’îwâns). Deux, quatre, voire six minarets aux fûts effilés rythmés par des balcons et se terminant en pointe complètent l’ensemble. La personnalité de Sinân éclipse celle des autres architectes. Son chef d’œuvre demeure la mosquée de Sélîm II à Edirne (1570). Ces mosquées font souvent partie de grands complexes regroupant des fonction éducatives, sanitaires et caritatives qui se signalent par le principe de couverture en dômes.
Plutôt qu’un plan organisé et symétrique, le palais de Topkapi où résident les sultans après la prise de Constantinople, se caractérise par une succession de pavillons : Çinili Kiosk (1472), Baghdâd Kiosk (1638). Avec le règne d’Ahmed III, qui célèbre l’ère des tulipes devenues motif récurrent de toute décoration – alors qu’en Europe se répand celui de la turquerie – le baroque et le rococo influencent les constructions religieuses et civiles, parmi lesquelles les fontaines publiques (sabîl). Au XIXe siècle, le palais de Dolmabahçe (1853) emprunte le style Beaux-Arts aux bâtiments européens contemporains.
E. D.
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