L’île de Chypre était une possession byzantine lorsque Richard Cœur de Lion, lors de la troisième Croisade en 1191, l’envahit. L’année suivante, celui-ci la vendit à Guy de Lusignan (1192-1195). En 1197, Chypre fut constituée en royaume par l’empereur Henri VI (1191-1197). Aimery (1195-1205), frère et successeur de Guy et futur roi de Jérusalem, devint alors le premier souverain de la dynastie des Lusignan ; celle-ci régna sur Chypre jusqu’en 1489[1].
Quatre évêchés furent définis et l’on commença à bâtir leur cathédrale. Celle de Nicosie, capitale de l’île, devint siège de l’archevêché latin ; c’est elle qui accueillera le sacre des rois. Toutefois, la première campagne de construction de cette église n’a probablement pas débuté avant 1209, et l’essentiel des travaux, concernant toute la partie orientale de l’église jusqu’à la cinquième travée, fut réalisé sous l’archevêque Eustorge de Montaigu (1215/1217-1250). L’église intégra des réemplois tels que les quatre colonnes et deux des chapiteaux utilisés dans le sanctuaire, provenant peut-être d’une église byzantine.
Le choix du vocable de l’église, extrêmement fréquent dans le monde byzantin, s’explique si on suppose que le clergé latin utilisa dans un premier temps la cathédrale grecque dédiée elle aussi à sainte Sophie, c'est-à-dire à la sainte Sagesse. Il est même possible que l’église gothique fût construite sur l’emplacement de la Sainte-Sophie byzantine.
Lors de la deuxième campagne, attribuable peut-être à l’archevêque Hugues de Fagiano (1251-1269), le plan initial fut poursuivi sans grand changement de style ou de conception. On bâtit alors la quatrième travée, mais les travaux furent arrêtés brusquement, laissant la troisième inachevée.
L’essentiel de la troisième campagne fut réalisé entre 1319 et 1326, date de la consécration de l’église, par l’archevêque Jean Conti (1312-1331). On lui doit toute la partie occidentale de l’église. Toutefois, les travaux furent interrompus laissant la façade harmonique inachevée. La rupture de style est cette fois notable ; en effet, ces travaux se firent en adoptant les formes du gothique rayonnant.
À l’intérieur, Sainte-Sophie mesure environ 68m de long pour 24,50m de large, et elle atteint plus de 21m de hauteur. Elle est caractérisée par la continuité et l’unité de ses volumes, ainsi que par une certaine sobriété. Par son architecture et par le style employé lors des deux premières campagnes, elle s’apparente aux édifices du nord de la France de la deuxième moitié du XIIe siècle. En raison de l'absence de triforium et de toit en charpente, l'église paraît trapue. C'est un toit en terrasse qui a été adopté, comme dans de nombreuses réalisations gothiques en Orient[2].
Le décor sculpté conservé est constitué essentiellement de motifs végétaux. Le décor figuré, qui n'a laissé que des traces, était peu développé, mais il était compensé par de nombreuses peintures dans les voûtes et dans les tympans des portails. On peut imaginer que celles-ci ont été réalisées par des artistes byzantins. En effet, si architectes et sculpteurs étaient souvent envoyés depuis l’Occident, on employait volontiers des peintres byzantins.
En 1570, les Turcs prennent Nicosie ; la cathédrale Sainte-Sophie est alors aménagée en mosquée et le décor figuratif est détruit ou plâtré. Des modifications mineures sont réalisées dans la structure de l’édifice. Deux minarets sont érigés en utilisant comme bases les deux tourelles d’escalier flanquant les tours inachevées de la façade. L’édifice, qui subira encore des modifications, continue à être utilisé comme mosquée jusqu’à aujourd’hui.
[1] En 1489 en effet, le royaume est cédé aux Vénitiens qui gouverneront l’île jusqu’à la prise de celle-ci par les Ottomans.
[2] Cet élément n’est cependant pas limité aux seules réalisations des Croisés. On retrouve en effet ce même genre de toits plats un peu partout autour de la Méditerranée. Ainsi, des toits en terrasse couvrent aussi la cathédrale de Palma de Majorque et la cathédrale de Barcelone, par exemple.
Enlart, C., L'art gothique et la renaissance en Chypre, I, Paris, 1899, E. Leroux.
Georgopoulou, M., « Gothic Architecture and Sculpture in Latin Greece and Cyprus », in Byzance et le monde extérieur. Contacts, relations, échanges. Actes de trois séances du XXe congrès international des Etudes byzantines, 19-25 août 2001, Paris, 2005, « Byzantina Sorbonensia, 21 », p. 225-253.
Plagnieux, P., Soulard, T., « Nicosie. La cathédrale Sainte-Sophie », in L’art gothique en Chypre, Paris, 2006, « Mémoires de l’académie des inscriptions et belles-lettres, 34 ».
Edbury, P. W., The Kingdom of Cyprus and the Crusades. 1191-1374, Cambridge, 1991, Cambridge Press University.