Cette coupe hémisphérique de moyenne dimension, fortement restaurée, à paroi évasée et légèrement bombée, repose sur une petite base annulaire. Elle est munie d’une lèvre légèrement éversée soulignée par une légère rainure.
Ses deux faces sont couvertes d’une glaçure de couleur vert foncé. Sur sa surface interne est tracé, en brun métallisé, un décor cruciforme, meublé à l’intérieur de rinceaux feuillus. Les branches du motif cruciforme se terminent par une tresse à deux brins, délimitée, de part et d’autre, par deux traits parallèles.
La forme de cette coupe est fréquente dans la céramique ifriqiyenne médiévale et la couleur verte à base d'oxyde de cuivre est très caractéristique de la céramique de Raqqada.
Le dessin de passementerie localisé aux extrémités du motif cruciforme est l’unique exemple de ce motif attesté pour la période.
Le rinceau couvrant le fond n'est pas sans rappeler les rinceaux de la demi-coupole en bois surmontant la niche du mihrâb de la Grande Mosquée de Kairouan. Le motif de la feuille de vigne à trois ou cinq lobes est par ailleurs très fréquent dans le répertoire décoratif ifriqiyen. Il est présent sur des stèles funéraires kairouanaises des Xe-XIe siècles[1], dans le décor des coupoles des mosquées de Kairouan, Sousse et Tunis, et également sur la façade de la mosquée des Trois Portes (Kairouan, 866)[2]. Certains décors de carreaux lustrés du mihrâb de la Grande Mosquée de Kairouan présentent une analogie étonnante tant au niveau des coloris (jaune ocre et brun) que de la légèreté des motifs végétaux très stylisés.
La technique du lustre métallique a visiblement été pratiquée dans les ateliers de céramique ifriqiyens. En effet, des analyses faites sur des échantillons de lustres trouvés dans un four lors des fouilles de Sabra al-Mansuriyya attestent d'une façon indéniable la présence d'un décor lustré sur fond bleu cobalt de fabrication locale, à la fin du Xe et au début du XIe siècle.
Cependant cette technique, née en Mésopotamie au IXe siècle et qui se propagea en Egypte dès le milieu du Xe siècle, était alors relativement récente et nécessitait une mise en œuvre élaborée. Il est difficilement envisageable que les céramistes ifriqiyens soient parvenus à dominer aussi rapidement une technique si complexe. Tout porte donc à croire qu'il s'agit d'une pièce mésopotamienne d'importation ou exécutée sur place par des céramistes venus d'Orient. De plus, le décor de ce plat rompt complètement avec le répertoire relativement peu raffiné et moins abstrait des céramiques ifriqiyennes contemporaines. Il offre par contre une parenté plus nette avec les carreaux lustrés du mihrâb de la Grande Mosquée de Kairouan, dont l’origine mésopotamienne a été établie par des analyses chimiques. D'autres pièces de céramique mésopotamiennes conservées au musée de l'Art Islamique à Berlin[3], au Museo Nazionale d’Arte Orientale à Rome, ainsi que des pièces découvertes dans les fouilles de Fustat et conservées au musée islamique du Caire présentent également une parenté certaine avec cette coupe.
Les céramistes ifriqiyens vont un peu plus tard, sans doute à la fin du Xe siècle, maîtriser cette technique. Tout laisse présager que ce sont eux qui l’ont introduite à la Qala'a des Banu Hammad au XIe siècle. Elle semble ensuite avoir atteint l'Andalousie au XIIe siècle et de là, s'être propagée en Italie, surtout par l'intermédiaire de Valence et de la Sicile.
[1] Voir la fiche du cropus tunisien sur la stèle funéraire prismatique et celle sur la frise à décor épigraphié.
[2] Dans sa partie inférieure qui constitue l'intrados des arcs
[3] Voir Le califat de Bagdad, la civilisation abbâsside, p. 252, n° 125.
Couleurs de Tunisie, 25 siècles de céramique, (cat. exp. Paris, Institut du monde arabe, 1994), Paris, 1994, IMA, p. 127, n° 65.
30 ans au service du patrimoine, (cat.exp., Tunis, Le Belvédère, 1986), Tunis, 1986, INAA, p. 249-257, 249, n° 39.
Tunez, Tierra de culturas, (cat.exp., Barcelone, 2003), Valence, 2003, IEMed, p. 231, n° 164.
Ouvrage collectif, Le califat de Bagdad, la civilisation abbâsside, Milan, 1988, Syros alternatives, p. 252-253.
Lane, A., Early Islamic Pottery, Londres, 1953, Faber and Faber.
Marçais, G., Les faïences à reflets métalliques de la Grande Mosquée de Kairouan, Paris, 1926, Tournier et Vuibert.
Philon, H., Early Islamic Ceramics, Londres, 1980, Islamic Art Publications / Totowa, N.J.
Scerrato, U., “Ceramica irachena del IX-X secolo”, in Serie Schede Museo Nazionale d'Arte Orientale, t. 2, Rome, 1968.
Le calife, le prince et le potier, les faïences à reflets métalliques, (cat. exp., Lyon, musée des Beaux–arts, 2002), Lyon, Paris, 2002, Musée des Beaux-Arts de Lyon, RMN.