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Les Commentaires de l’Apocalypse sont dus à Beatus de Liébana, qui vécut au monastère de San Martin de Liébana (aujourd’hui Santo Toribio de Liébana) dans la seconde moitié du VIIIe siècle. Cette œuvre est composée d’une sélection d’extraits d’œuvres de plusieurs auteurs (Isidore de Séville, Grégoire le Grand, Grégoire de Elvira, Ticonio, Agustin, Apringio de Beja, etc.). Dès sa création, elle fut utilisée dans des monastères, mais l’époque d’apogée des Beatus en général reste le Xe siècle, moment où ces écrits sont progressivement redécouverts et illustrés, donnant naissance à un style particulier décrit par Joaquin Yarza[1].
De nombreux chercheurs évoquent néanmoins une nette influence islamique sur les miniatures des Beatus. Quelques scènes montrent en effet des éléments clairement islamiques, utilisés dans certains cas pour « diaboliser » ou exprimer quelque chose de négatif. C’est le cas par exemple de la scène de la prostituée de Babylone. Comme le fait remarquer Joaquin Yarza, elle apparaît assise à l’orientale dans le Beatus de Magio, couronnée d’un élément étrange au centre duquel figure une demi-lune ; dans la partie supérieure de l’image sont dessinés des merlons évoquant l’architecture islamique. Dans d’autres scènes, on remarque la présence évidente d’éléments d’origine orientale, mais sans connotation négative. Ces observations ne permettent pas d’affirmer qu’il y a une influence directe de l’art islamique sur les miniatures des Beatus, mais il apparait évident que les deux cultures se connaissaient et entretenaient des relations.
On distingue deux catégories de Beatus : une très sobre, dans laquelle les illustrations ne sont pas très grandes, où peu d’illustrations occupent la surface totale de la page, et l’autre beaucoup plus riche. C’est à cette dernière que l’on a souvent attribué une influence mozarabe. La calligraphie y est beaucoup plus ornée, et l’on y trouve de nombreuses images en pleine page, parfois même sur les deux faces d’un même feuillet.
Le Beatus de Tabara appartient à cette seconde catégorie. Le texte en caractères wisigothiques est réparti sur des doubles colonnes. Il a probablement été copié au monastère bénédictin de Tábara à Zamora. Le codex a perdu une grande partie de ses miniatures, mais celles conservées, ainsi que les enluminures des lettres majuscules, nous indiquent qu’il devait être l’un des Beatus les plus décorés. Les images les plus remarquables de l’œuvre se trouvent à la fin du codex (p. 167 et colophon). Dans ce dernier apparaît la lettre oméga magnifiquement décorée. Au folio 167v est représentée la tour abritant le scriptorium de l’église de Tábara, preuve que le manuscrit y fut réalisé. Il s’agit d’une des scènes les plus spectaculaires de tous les Beatus qui nous sont parvenus ; des spécialistes comme Hermenegildo Garcia-Araez ont vu une influence d’al-Andalus[2].
[1] « Un langage formel différent de tout ce qu’on peut voir en Europe, mais aussi de l’art musulman hispanique, qui est plus classique dans ses figurations. On atteint ici un niveau d’abstraction encore jamais vu, un art bidimensionnel où est négligée la troisième dimension ; on y joue avec des couleurs intenses et sans nuances, couleurs parfois utilisées pour les fonds et appliquées en bandes horizontales, et parfois pour tracer et colorer les silhouettes d’images et d’objets. Le résultat est si exotique par rapport à son environnement qu’il a produit ce qu’on appellera « mozarabe », terme qui d’une manière lui convient puisqu’il n’a rien ou très peu de rapport avec ces communautés chrétiennes, et puisque ses formes s’éloignent de la tradition antique que l’on voit dans les quelques codex qui nous sont parvenus de ces communautés d’al-Andalus. ». Cf. Yarza Luaces, J., « ¿El terror del milenio?: los Beatos », in Dos milenios en la historia de España: año 1000, año 2000, Sociedad Estatal de Conmemoraciones Culturales, 2000.
[2] Selon l’auteur, cette influence est visible dans la « représentation de la tour-scriptorium, où la décoration extérieure de carreaux bleus et oranges fait écho à des œuvres andalouses, mais aussi dans les enluminures de l’oméga dont l’extérieur des lignes courbes présente une décoration qui rappelle celle des bannières andalouses ; ce décor doit aussi beaucoup à l’art carolingien par ailleurs, dans l’alternance des lignes parallèles arquées et dans les entrelacs qui terminent les pointes de la lettre oméga. On peut affirmer pour des raisons stylistiques que la personne qui a réalisé cette copie a été formée en al-Andalus, en plus du fait qu’elle contient dans les marges des gloses en arabe ». Cf. Encrucijadas. Las Edades del Hombre, (cat exp., Astorga, Cathédrale, 2000), Valladolid : Fundación Las Edades del Hombre, 2000, p. 244.
Yarza Luaces, J., « El terror del milenio ?: los Beatos », in Dos milenios en la historia de España: año 1000, año 2000, Madrid, 2000, Sociedad Estatal de Conmemoraciones Culturales.
Dos milenios en la historia de España: año 1000, año 2000, Madrid, 2000, Sociedad Estatal de Conmemoraciones Culturales, p. 288-289.
Encrucijadas. Las Edades del Hombre, cat. exp., Astorga, Cathédrale, Valladolid, 2000, Fundación Las Edades del Hombre, p. 242-244.
The art of medieval Spain, ad. 500-1200, New York, 1994, Harry N. Abrams.
Yarza Luaces, J., Beato de Liébana. Manuscritos iluminados, Barcelone, 1998 : Moleiro.
Williams, J., The illustrated Beatus. A Corpus of the illustrations of the Commentary on the Apocalypse, Londres, 1994, Harvey Miller.