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Cette plaque fragmentaire est délimitée sur trois côtés par un encadrement enserrant une frise de poissons dont la bouche est alternativement ouverte et fermée. Le reste du champ s’orne verticalement de quatre mandorles issues de deux brins entrecroisés donnant naissance dans les intervalles à des demi-palmettes. Dans ces médaillons prennent place des animaux fantastiques : harpies (oiseaux à tête féminine qui ici ont des queues de paons) aux deux extrémités, sphinx (lion ailé à tête humaine), sirènes (animal mi-femme mi-poisson).
Certains de ces motifs comme les harpies ou les sphinx sont présents en Iran et en Anatolie dès l’époque seljukide, en Égypte et en Sicile à l’époque fatimide puis en Syrie et en Égypte sous les Ayyubides et les Mamluks. On les trouve par exemple sur des rondes-bosses en céramique qui servaient certainement de bouches de fontaines[1], sur des coupes en céramique lustrées fatimides, ainsi que sur de nombreux objets en ivoire attribué à la Sicile. Des plaquettes en bois rectangulaires provenant du complexe de Qalâ’ûn au Caire présentent également des motifs similaires d’animaux en relief, dont une harpie et un sphinx[2].
Les harpies, courantes dans le monde grec antique, disparurent pendant des siècles du vocabulaire décoratif oriental pour réapparaître au XIe siècle. La harpie comme le sphinx sont souvent associés à l’idée d’ascension et de lumière et figurent sur bon nombre de lampes. Pégase et les sirènes appartiennent également à l’iconographie antique ; si Pégase est repris dès l’époque omeyyade (Syrie, complexe de Khirbat al-Mafjar) et par les Seljukides en Iran (textile du musée de Cluny), la sirène en revanche est exceptionnelle. Quant au poisson, c’est un motif ornemental fréquent en Islam qui trouve souvent sa place sur des métaux incrustés et des verres émaillés, peut-être en rapport avec la fonction de ces pièces.
Durant le XIIe siècle qui voit l’arrivée des Turcs en Anatolie et des premiers Croisés, l’espace de la Jézireh est riche en migrations et en contacts. Les motifs et les techniques voyagent, certains passages s’opèrent entre les mondes chrétien d’Occident et d’Orient, turc, arabe et persan[3]. Cette plaque témoigne par son décor de ces différentes influences. À une iconographie islamique se mêlent des éléments issus du monde chrétien oriental. Les poissons sont ici traités avec un volume et une expressivité qui rappellent certaines œuvres byzantines, paléochrétiennes et coptes. De même pour les sirènes dont les plis concentriques au niveau du ventre évoquent des peintures de manuscrits byzantins contemporains mais aussi certaines représentations de danseuses tant à Samarra en Irak qu’en Égypte et Sicile fatimide.
Quand a la fonction de cette plaque, la présence de poisson et de sirènes pourrait faire penser à un usage en rapport avec l’eau, peut-être un fragment de bassin ou de fontaine.
[1] Bouche de fontaine en forme de sphinx, Syrie, 2de moitié du XIIe siècle, céramique « lakabi », Copenhague, Davids Samlung, Isl. 56.
Exhibition Islamic art in Egypte 969-1517, (cat. exp., Le Caire, Hôtel Sémiramis, 1969), Le Caire : Ministry of culture U.A.R., 1969, p. 202, n° 193, ill. 33
L’étrange et le merveilleux en terre d’Islam, (cat. exp., Paris, musée du Louvre, 2001), Paris : RMN, 2001