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À la base du couvercle, en graphie kufique : « Que Dieu bénisse l’imâm ‘Abd Allâh al-Hakîm al-Mustansir bi-llâh, prince des croyants. Ceci est la commande réalisée pour la mère de ‘Abd al-Rahmân par l’entremise d’al-Durrî le jeune. En 353 H. »
L’ivoire est un matériau utilisé depuis l’Antiquité en Méditerranée ; à l’époque médiévale il fut employé aussi bien dans les royaumes chrétiens que dans l’Empire islamique. Importé, notamment de l’Afrique pour fournir al-Andalus, il est de fait fort cher et réservé à des œuvres destinées à des personnages de la haute société. Les productions d’ivoires andalouses ont peut-être été influencées par l’importation d’objets de luxe byzantins ou iraniens. Elles connaissent un véritable âge d’or au Xe et au XIe siècle, qui peut se comprendre par le contexte politique[1].
Cette boîte, témoignage de la qualité de l’ivoire à cette époque, a été sculptée dans une défense d’éléphant. Cylindrique, elle est munie d’un couvercle tronconique surmonté d’un bouton de préhension godronné. Le corps et le couvercle sont unis par une charnière en argent gravée au burin et émaillée en noir. Ce type de boîte appelée pyxide était fréquent dans la Grèce antique où on les fabriquait dans différentes matières (bronze, bois, ivoire, argent). On y conservait les bijoux, les produits médicinaux, l’encens ou les cosmétiques. L’art byzantin a fait sienne cette forme qui fut transmise à l’art hispano-mauresque. Le bouton divisé en quartiers par de profondes moulures est un élément caractéristique des pyxides d’al-Andalus. On l’identifie le plus souvent à un fruit (une orange ou une grenade).
Tout comme la plupart des objets en ivoire produits au Xe et au XIe siècle, son décor au tracé nerveux et très refouillé crée une impression de densité sur toute sa surface. Avec l’arrivée des Almoravides et des Almohades, elle disparu d’al-Andalus au profit de la marqueterie et de l’ivoire peint. Le répertoire décoratif comprend essentiellement des motifs végétaux dans lequel sont insérés des animaux affrontés ou opposés (paons, gazelles, oiseaux), ou des scènes de détente, de boisson…
Cette pyxide ne déroge pas à la règle : le long d’axes verticaux, des rinceaux, palmes et feuilles rayonnent en miroir. Dans cette végétation luxuriante et rigoureuse prennent place quatre paires de gazelles opposées, surmontées du même nombre de délicats paons affrontés à l’aigrette stylisée, surmontés d’oiseaux opposés dont les têtes, tournées vers l’arrière, se font face. Les fleurettes à quatre ou six pétales, munies d’un bouton central, sont un élément caractéristique du classicisme cordouan. L’ensemble du décor est sculpté au fil et à la pointe du burin. Les tiges sont striées, les feuilles biseautées. Ce type de décor où se mêlent végétaux et animaux était employé sur les pièces souvent destinées aux femmes de la famille du souverain ou à des princes. Le couvercle est orné à la base d’une inscription kufique, son décor végétal est animé d’oiseaux affrontés. L’inscription nous apprend que cette pièce fut commandée par le calife al-Hakam II pour sa concubine favorite, Subh, mère des princes ‘Abd al-Rahmân et Hishâm. Al-Durrî, qui est mentionné dans le processus de réalisation, est un esclave d’origine slave d’al-Hakam II, qui fut chargé du contrôle de la fabrication de plusieurs objets somptuaires réalisés dans les ateliers du palais.
Cette pièce illustre parfaitement le raffinement de la haute société et des souverains d’al-Andalus à l’époque du califat de Cordoue. On tentait alors d’imiter et même de surpasser le faste de la société abbasside de Baghdad, elle-même héritière de la magnificence omeyyade et des anciennes cours de Perse, de Chine et d’Inde.
[1] ‘Abd al-Rahmân III, face à l’expansion des Fatimides en Afrique du Nord, s’appuya sur plusieurs gouverneurs du Maghreb. L’emprise politique et le contrôle économique exercé par le califat de Cordoue sur les territoires maghrébins rendit possible le contrôle du commerce de matières premières particulièrement précieuses, parmi lesquelles l’ivoire et l’or de l’Ouest africain dont les routes de diffusion passaient par l’Afrique du Nord.
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